Extraits des Chroniques ou annales écrites autrefois successivement par des chanoines du chapitre de Notre-Dame de Neuchâtel

Selon préface de la première édition publiée par la Société d'histoire et d'archéologie du canton de Neuchâtel en 1884, l'auteur des Extraits des Chroniques est M. S. de Purry, l'un des membres distingués d'une famille ancienne et bien connue de Neuchâtel. Il rédigea ce petit mémoire, resté inédit jusqu'ici, suite à la découverte inopinée du précieux manuscrit en 1714. En voici une partie:

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Charle se logea à l'entour Morat : Douze mill des siens ordonnés par le Seigneur de Romont tenoient devers bize, et quarante mill (aulcuns disent cinquante voire plus) tenoient les aultres parts, machillants comme garibels
(1) tout le pays. Le Duc faict dire à ceulx de Morat de se rendre et ne reçoipt que desdain du brave Chevallier Adrian de Boubenberg, qui dedans tenoit avecque douze cent bons compaignons de Berne et de Fribourg, respondant le dict Chevallier, que le déléal devant Grandson fiance n'auroit devant Morat. Incontinent faict rage une formillière de canons du Bourguignon, et par sept jours de batteries cuidant avoir fracassé bastant et appert passaige aux siens, ordonne le Duc Charle un furieux assault, et là perdent vie sept cent Bourguignons sans nul profict. Messieurs des Alliances diligentoient de parassembler leurs gens, à celle fin ne faillir à ceulx de Morat, ainsi et comme misérablement estait advenu aux assaillis de Grandson: touts que deçà que delà arrivent ès environs du Guemin, (2) là où de bon cœur et grande allégresse courrent aussy les nostres grandement requis par ceulx de Berne et Solleure, la bandière du Seigneur Comte Rodolf conduicte par Jacques de Cleron, celle de la ville par le Banderet Varnoud, celle de Monsieur de Valangin par le bastard d'Arberg, et celle de Landeron par son vaillant Banderet, comportant les dictes quatre bandières mill voir un peu plus de la Comté. Le Seigneur duc de Lorraine que grande haine et vindication portoit au duc Charle, ayant ouï ce que les Ligues délibéraient faire, et s'éjouissant d'estre tesmoing, chevaucha de jour de nuict avecque cinq cent des siens nobles féo­tiers et gens de cheval: si vint tout à poinct, jàrange oit on les batailles: Et comportoit l' ost des Ligues bien quarante mill tant gens de piques et couleuvrines que de cheval: 

Et le vingt et deuxie­me jour de Juing à l'aube (après prosternation et invocation à genoulx reclamant divine assistance) Messieurs des Ligues descendent de Guemin en deux parts: une courre dessus le Seigneur de Ramont, et du premier rude coup le déloge, tant et si bien le déchasse, que semblaient-ils ces pau­vres Bourguignons bestail épévanté par le loup: L'aultre bataille des Ligues (icelle estoit la plus grosse et nos gens dedans) marche droict devers l' ost du duc de Bourgogne, là où se treuvent touts ses plus vaillants chevalliers, féotiers et gens d'ar­mes bien gardés tout à l'entour par les charrois, fortes hayges bardées de gros pals, et cent et cent canons faisant rage et batteries de ça de là : Tels fourmidables empeschements ne peuvent ren­dre froids Messieurs des Ligues, ains les bandiè­res de Berne et de Fribourg criant Grandson, Grandson, saultent les premières par travers canons, hayges, pals et charrois, en telle manière que l'huis est incontinent appert aux aultres : à ce coup cuident certaines grandes et superbes bandes combastre et faire chaudes charges; mais les Ligues se ruent dessus, criant de plus fort Grandson, Grandson, taillant, despeschant touts ces reluisants Chevaliers, sans bailler marcy ne remission à nul: Ceulx de Morat en la même heure font entière et rude saillie, conduicts par le vaillant Boubenberg ; si advint tuerie non pareille et ne voyoit-on que Bourguignons despeschés et gysants par touts Heugz à l'entour; non comprins tant et tant, jet­tés voir estoufés par chassement dedans le lac. Le malfortuné Charle se saulva quasi seul, tout d'une boutée, sans virer face jusqu'en St Claude: Tant et si grande fut la déconfiture des siens en illec jour, que sembloit il à Messieurs des Ligues n'avoir fait ès champs de Grandson que petits jeux d'enfants: trépassèrent pour le fin moins douze cents Chevalliers et haults féotiers du duc de Bourgongne, ensemble bien dix mill aultres gens de pied et de cheval; (aulcuns disent quinze voir vingt mill, si faut-il se contenter de dix mill.) Certes ce semble estre bastante icelle legende, voir jà trop lamentable en la Chrestienté. Petite fut la perte des Ligues" cent et trente laissèrent vie en l'assault des pals et canons; d'aultre part les couleuvrines et batteries ferirent de loing deux cent et octante, quasi touts de Berne et Frybourg; des nostres seulement le bastard d'Arberg et deux hommes d'armes de M. de Valangin, touttesfois retreuvèrent-ils santé par apres, fors un peu tré­passa: A l'endroict du butin, les Alliances ne gaignèrent préciosités si grandes que devant Grandson, là où ainsi que ja a esté dict, furent conquestées vaissalles d'or et d'argent, bailais et parements les plus beaux de la Chrestienté, bagues et richesses infinies; par ainsi doibt-on facilement croire que semblable pompe ne povoit pour si peu de temps estre ja restaurée: En place de quoy Messieurs des Ligues treuvèrent deux mill courtisaines et joyeuses domzelles, et délibérant que telle marchandise ne bailler oit grand profict aux leurs, si laissèrent-ils courre à la garde les dictes cavalles. Mais des canons, engins de touttes ma­nières et non cognues par de ça, piques, couleu­vrines, beaux accoustrements de pied et de cheval, armures de Chevalliers de touts pays et langues, un chaicun en ramassa son soûl; tellement que sembloient nos gens revenir du marché. Par espécial raportèrent-ils vingt et quatre belles armures pots et panaches de chevalier baillés par Messieurs des Alliances aux Ministrals et Conseillers de Neufchastel. A ceulx de Berne et de Frybourg furent octroyés quasi touts les canons, et certes les avoient-ils bien gaignés.

(1) Urbecs ou bèches, scarabées destructeurs de la vigne.  (2) Gümmenen.

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En fait cette chronique est apocryphe et constitue un habile pastiche d'un manuscrit aujourd'hui disparu intitulé : Les Entreprises du Duc de Bourgogne contre les Suisses, lequel est attesté par plusieurs autres manuscits d'inégale valeur.


"La grave sévérité de l'histoire ne peut admettre de fables" Chancelier de Montmollin

Arthur Piaget en fait la démonstration dans les livraisons avril, mai et juin 1896 de Musée Neuchâtelois.

Les Entreprises du Duc de Bourgogne contre les Suisses font l'objet d'une édition critique dans la Thèse présentée à la Faculté des lettres de l'Université de Neuchâtel pour obtenir le grade de docteur ès lettres pa Alfred Schnegg.

Imprimerie E. Birkheuser & Cie, S.A. Bâle 1948