Extrait de correspondance avec un Strasbourgeois sur la Zunft de l'Echasse

Tout arrive... j'ai retrouvé la références aux déboires de la Zunft de l'Echasse de Strasbourg.

C'est effectivement décris par Dollinger dans le tome 2 de 'Histoire de Strasbourg des origines à nos jours" (collectif, ed. Istra, épuisé). Le copain qui possède le bouquin (et que je n'ai pas encore trucidé pour le lui piquer) me l'a prêté. Je recopie donc pour Francis quelques lignes :

" Il est facile d'imaginer les jalousies, les rancoeurs, les conflits qui agitèrent les corporations les plus composites , que ce fût pour la contribution aux dépenses, l'utilisation des fonds ou l'élection du maître et du délégué au Conseil. L'exemple le mieux connu est celui de l'Echasse. En 1332, les peintres su rmétal (Schilter), sur bois et sur tissus (Moler), les verriers (Glaser), les selliers (Sattler), les fabricants d'arcs et d'arbalètes (Schützen), de cuirasses (Harnischer) furent groupés en une corporation. En 1427 leur furent adjoints les sculpteurs du bois (Bildsnider). Nous connaissons par hasard les circonstances et les motivations de la décision. Un sculpteur du bois, nommé Georges s'étant inscrit parmis les peintres, les charrons, huchiers et tourneurs portèrent plainte. Selon eux, le sculpteur se servant des mêmes outils qu'eux et Georges ayant fait son apprentissage avec eux, devait leur être rattaché. A quoi les peintres répliquèrent que les sculpteurs avaient sans cesse besoin des peintres dans leur travail,que du reste Georges savait peindr lui-même et enfin que d'autres sculpteurs avaient fait partie de leur corporation. le Conseil leur donna raison ; non seulement Georges, mais désormais tous les sculpteurs du bois seraient rattachés aux peintres.

Mais les plus gros problèmes furent posés par l'adjonction aux peintres, dès 1362, des orfèvres, jusqu'alors rattachés au patriciat. Ceux-ci, en raison de leur richesse et de leur prestige acquirent une place prépondérante dans la corporation, au grand mécontentement des peintres. Il semble que d'abord les deux artisanats conservèrent chacun une caisse et un poêle propres. Puis une tentative d'unification fut effectuée (1438), qui échoua ; il fallut rétabli les deux caisses, les deux poêles et procéder à un partage délicat des biens indivis ; seul le maître et le tribunal, formé de quatre jurés orfèvres et de quatre des autres métiers restèrent communs. Après 1470, la corporation s'élargit encore par l'adjonction des relieurs, des imprimeurs et des typographes, ce qui posa de nouveaux problèmes."

A noter que Piton lui, cite Mentelin de Sélestat (l'imprimeur) comme membre de l'échasse vers 1448. Les imprimeurs auraient-ils fait par la suite le même coup que notre Georges sculpteur sur bois ?

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>Quelques "célébrités" de l'Echasse :
   >- Hans Hirtz (inscrit vers 1426) : auteur d'un portement de la croix
   >  vers 1440 avec l'Eglise St Thomas en arrière-plan (entrée de la
   >  "petite France" actuelle pour les touristes).
 
S'il est incontestable que Hans Hirtz fut actif a Strasbourg,
il est en revanche plus hypothétique de lui prêter l'identité
du maître de la passion de Karlsruhe qui devait posséder une documentation impressionnante sur les armes d'hast si l'on en juge par deux oeuvres que l'on peut découvrir :
 
http://www.zum.de/Faecher/G/BW/Landeskunde/rhein/geschichte/spaetma/kh/strasbuoberrh1e.htm
et
http://www.uni-leipzig.de/ru/bilder/passion2/hirtz03.jpg
 
   >- Nicolas Gerhaert de Leyde (inscrit en 1464, est resté 4 ans à
   >  Strasbourg seulement) : c'est néanmoins là qu'il réalisa ses plus
   >  belles sculptures,  transformant même le style local selon certains
   >  historiens de l'art.
   >- Pierre d'Andlau : auteur de nombreux vitraux visibles à Nancy
   >  (pays de langue étrangère pour l'époque donc...), Salzbourg,
   >  Innsbrück, Nuremberg ...
   >  ...Les orfèvres ne furent pas en reste et Philippe Dollinger
   >  cite le magnifique reliquaire de Hallwyl (CH) réalisé par un
   >strasbourgeois de l'Echasse.
 
Ce objet fait partie du trésor de la cathédrale de Bâle. Un poinçon de la Zunft est visible sur la base. Le précité Nicolas de Leyde pourrait être l'auteur du groupe sculpté.
 
On peut obtenir un agrandissement de l'image en cliquant sur celle qui se trouve :
http://www.metmuseum.org/special/basel_cathedral/5.r.htm
 
Pour lire un complément relatif à la provenance du reliquaire :
http://www.historischesmuseumbasel.ch/muensterschatz2001/schatz.php?pos1=b&pos2=i
 
Lorsque je faisais des recherches sur les représentation de
Sainte Catherine d'Alexandrie au XVe  j'avais déjà croisé Pierre Hemmel d'Andlau.
J'ignorais qu'il avait fait partie de l'Echasse.
C'est avec le plus grand plaisir que j'ai retrouvé un lien qui permet
d'admirer un sujet moins pathétique que les précédents :
http://www.holycross.edu/departments/visarts/projects/kempe/devotion/alphabet/dahl01.htm
 
Un détail de la grisaille sur :
http://www.darmstadt.gmd.de/Museum/HLMD/hemmel.html
 
Cordialement
 
Francis
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Bonjour Fabrice, François, Lionel
 
C'est avec le plus vif intérêt que j'ai suivi vos soucis de datation. Il semble même qu'un compromis ait été trouvé ce qui prouve qu'il est possible de s'entendre entre XVemistes et supporters. Pour ma part, j'évite de me livrer à ce genre d'exercice depuis les première neiges de cet hiver. En improvisant un détour par la collégiale de Romont, j'étais passé dédaigneusement à côté de vitraux de l'époque savoyarde. Pire. J'avais même objecté à mon épouse qu'il puisse s'agir d'originaux du XVe. C'est en prenant le chemin de la sortie que j'étais tombé sur une carte postale que l'on peut acquérir en glissant une modique somme dans le tronc prévu à cet effet. Elle représentait un vitrail. Je la retournai et lu avec émotion la mention du XVe siècle. Ils furent offerts, dit-on, par la duchesse Yolande elle-même et exécutés par Drapeir Agnus en 1459. Cet artiste est peut-être originaire du Haut-Rhin. 
Demi-tour gauche, pas de charge de piquier suisse jusqu'à l'objet convoité qui ne m'avait pas interpellé.
Les siècles ont éteint la plupart des sels colorants mais le dessin noir subsiste. Définitivement intégré dans le verre translucide il n'y a plus qu'à le lire. 
 
Le visage de la vierge ressemble à s'y méprendre à celui de Ste Catherine dans le vitrail de Pierre Hemmel. De 3/4 légèrement incliné vers sa gauche elle baisse pudiquement les yeux vers les lys disposés dans un vase médiéval. A moins qu'elle ne prête l'oreille à Gabriel qui lit sentencieusement ses phylactères assis dans le vitrail voisin. Un haut dossier forme comme un drap d'honneur destiné à l'isoler de son environnement. Perchées de part et d'autre dans le vide deux statuettes veillent comme des témoins pour soutenir encore la comparaison avec le vitrail de Ste Catherine.
 
Lionel,  
Je ne pense pas être le roi du lien. S'il en était ainsi, Google serait mon plus fidèle conseiller.
Les probabilités que le Maître de la passion de Karlsruhe et Hans Hirtz (1400-1463), ne forment qu'une seule et même personne sont grandes. Certains datent même cette oeuvre de 1440.
J'ai simplement voulu rendre attentif que l'auteur n'a pas été formellement identifié.
Peut-être s'en moquait-il ? Les peintres de cette époque devaient se sentir immortels. Ils avaient le pouvoir de semer le doute dans leurs créations, les peupler de symboles et de secrets. Ils détenaient la clé de toutes les légendes. Anamorphoses et mystères hantent les tableaux de Bellini mais il n'était pas le seul à s'en complaire.
 
Le Maître de la passion avait sa subtilité. Le point de fuite, s'il en est un, se devine au pied de l'échelle qui par extrapolation mène au supplice. Plus loin, un enfant grimpe à l'arbre (originel ?) mais vers quoi se dirige son regard si ce n'est encore le pied de l'échelle ?
Comme toi, j'ai eu la fugitive impression que les personnages étaient caricaturaux, surtout dans le "dévêtement" du Christ. Ce tableau préfigure Jérôme Bosch (1450-1516). Ce dernier, début 16e, transcendera les lois, sublimisera ce portement de croix.
http://gallery.euroweb.hu/art/b/bosch/painting/carrying.jpg
Pas d'auréole pour désigner Ste Véronique. Le suaire qu'elle déploie est presque superflu, son attitude tranche avec la foule grotesque et démoniaque.
Un plan très serré. Un chapeau bizarre comme un arc-en-ciel dans lequel on peut presque distinguer un oeil. Je cogite un peu et découvre que tout est accompli, le visage imprimé dans le suaire en témoigne. Voilà la raison de cette anomalie.  Bosch a peut-être voulu que l'observateur se transpose en enfer. Le décor est noir. Le christ doit apparaître comme dans un cauchemar. L'oeuvre invite au repentir.
 
François,
Je n'ai pas du tout l'impression d'être versé dans l'art germanique. Des pictogrammes de Lascaux aux mythogrammes de Bosh,  en passant par l'Egypte ou Byzance. Qu'il soit véhiculé par la miniature ou niché dans la pierre sculptée de nos cathédrales,  j'éprouve de l'intérêt  pour le langage imagé quel qu'il soit. J'aimerais connaître les signes chargés de transmettre le message et me retrouve trop souvent idiot.
Tout semble, en effet, opposer Italie et Flandres mais ce n'est bien sûr qu'apparences. Beaucoup de peintres voyageaient, s'influençaient. Uccello dans l'oeuvre citée à immortalisé une escarmouche, gagne-pain des condotierri. Les grands panneaux sont peints à l'oeuf et servent de propagande. Un hommage à Tolentino qui n'est pas équipé de façon réaliste pour le combat. Beaucoup de lances, d'armures. Les visages découverts sont rares et me font un peu penser à Renoir. A contrario, rares sont les sujets flamands conservés qui ne soient pas religieux.
C'est amusant que tu fasses allusion à Ucello et ses visages.
Généralement un portrait d'inconnu me laisse indifférent. Mais le petit panneau, exposé en pleine lumière, au milieu de l'entrée de la salle du musée de Chambéry m'a adressé un clin d'oeil vibrant lorsque je le vis. Etonnant pour un profil me diras-tu ? Sous le vernis, au travers de l'huile la vie semblait encore transparaître. Seul du sang pouvait assurer une pigmentation de  peau aussi réelle. Les traits nobles étaient légèrement marqués et précis à la façon de Botticelli. Le contraste avec la matière textile était flagrant.
C'était une question de présentation, de restauration hyper soignée. Une inégalité de traitement réservée aux reliques du moyen âge.
Ce portrait : http://gallery.euroweb.hu/art/u/uccello/6various/4portr_m.jpg  tel qu'il ressort sur écran est plat, terne. On devine à peine la mélancolie du regard. La peau et le couvre-chef ont une tonalité presque égale. Les traits paraissent exagérés. Pour un peu le jugerait-on à peine digne d'être suspendu dans un obscur couloir. Un peintre, deux manières de travailler les visages. Oeuf / huile. Grande taille / petite taille.
 
Manière italienne, manière flamande. Passé le Gothard puis Constance, le Rhin les lie.
Philippe Lorentz distingue l'école strasbourgeoise par une association de rose framboise et de vert pomme; des visages ronds, un peu enfantin, de petites bouches.
Je veux bien admettre que leur précarité obligeait les peintres à se fournir en pigments au monoprix du quartier mais le dessin...
Libéré de la tutelle du maître, l'ex-apprenti ne pouvait-il vraiment pas libérer ses pulsions et peindre des lèvres pulpeuses, des femmes plus mûres ?
Loin de Strasbourg, que dire des fils d'orfèvres qui firent de la gravure avant de se lancer en peinture ? Schongauer ne s'est-il jamais trahi. Bien plus tard, Renoir éprouvera la même peine à dissimuler la façon méticuleuse du peintre sur porcelaine sous des touches impressionnistes. 
Certains tableaux ne ressemblent-ils pas à des agrandissements de miniatures ? Déformation professionnelle encore ?
On peut cependant distinguer une école, s'amuser de voir certains élèves dépasser le maître. Percevoir les influences ou les inspirations.
Il m'arrive d'imaginer le commanditaire d'une oeuvre exigeant du peintre : "J'ai vu ceci chez untel. Je veux pareil, si ce n'est mieux".
 
Terminé les icônes et le risque de violer les canons. Le peintre est libre. La concurrence joue. Les progrès techniques sont à son avantage. Certains commanditaires baignent dans l'opulence. Le monde ne va pas tarder à lui sourire encore. Fouquet est en train de peindre une vierge de charme. La blancheur du lys se transmet à la carnation. Il emprunte à Rome et aux flamands.
 
Il n'en va pas de même pour tous. Loin des grands courants la Haute Provence, par exemple,  conserve dans ses chapelles de montagne quelques trésors d'un style primitif qui a peu évolué. Peintres solitaires et itinérants ? C'est encore un autre sujet puisqu'il s'agit de fresques.
Pas facile de les dater sans se fier aux experts.
 
La technologie contemporaine rend la datation fine possible. L'identification du peintre est moins aisée même lorsque l'oeuvre est signée. Des restaurateurs peu scrupuleux se sont parfois permis d'y apposer la leur.
Tu as cité Roger de la Pasture alias Van der Weyden. Le lien ci-après traite l'analyse d'un visage et les difficultés d'attribuer une oeuvre malgré analyse du dessin sous-jacent. Sorte d'analyse graphologique ?
http://www.c2rmf.fr/pages/page_id18152_u1l2.htm
 
Fabrice,
Il est bon que le passé ressurgisse de temps en temps ne serait-ce que pour retenir toute fuite en avant.
J'espère sincèrement que tu nous fera partager des moments d'histoire inédite. Des oeuvres insolites.
Mais surtout XVemistes :0). Promis ?
 
Cordialement
 
Francis