Coups d´oeil sur le XVe siècle |
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BNF Français 134, fol. 385v, Flandre, 3-4e
quart XVe siècle. Belle illustration du
Livre XIX qui constitue un appendice sur les accidents ou la science de la
nature. Le traité est
une compilation de Boèce et de Isidore de Séville et a pour prétention de faire connaître la nature et les propriétés des choses répandues dans les oeuvres des
saints et des philosophes. Il a
été écrit entre 1230-40 par Barthelémy l’Anglais (Bartholomaeus
Anglicus) et traduit Jean Corbechon, de l’ordre de saint Augustin,
en 1372. Il s’agit
d’une collection d’images pour la prédication. Pour en savoir plus : http://classes.bnf.fr/dossitsm/methappr.htm |
De
la couleur à l’infini
Brève approche des espèces de couleurs dans quelques recueils et
traités du XVe siècle
De
Pictura (1435) Leon
Battista Alberti. |
Avant
d’aborder la couleur au sens pratique de ses applications et à la lumière
des connaissances scientifiques actuelles, une approche philosophique dans
son contexte du XVe siècle nous a semblé aller de soi. C’est à Alberti que nous concédons l’honneur de cette
introduction car il convient de saluer l’humaniste, auteur du « De
Pictura » écrit en 1435, pour sa façon de traiter la peinture
comme art libéral, avec près de deux siècles d’avance sur sa
reconnaissance effective. « Nous
ne faisons par comme Pline une histoire de la peinture mais un examen
critique de cet art »
(Livre II, §26). |
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Une
couleur |
C’est
vrai que lorsqu’il rapportait que Polygnote et Timanthe n’avaient
utilisé que quatre couleurs et s’étonnait qu’Aglaophon se soit
contenté d’une, il ne cherchait pas, comme l’encyclopédiste romain,
à rapporter qui, le premier, inventa l'art de colorier les dessins avec
une couleur. Pour Pline, en effet, ce fut Cléophante de Corinthe (9e
av..JC), surnommé Monocromatos, qui l’aurait fait avec des tessons
de pots d'argile broyés. |
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Deux
couleurs
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« Mais j’aimerais que les peintres instruits
pensent que l’on peut employer tout son métier et son art à répartir
seulement le blanc et le noir ». Se référant encore à
l’antiquité, il reprenait l’éloge fait à l’athénien Nicias en
mettant en exergue l’effet de relief propre à cette manière. Nous ne résisterons pas à l’envie de démontrer que son
opinion était partagée, qu’elle fut appliquée et avons d’ores et déjà
prévu un futur article dédié aux grisailles
susceptibles
de nourrir la querelle du paragone. Ces
deux couleurs, les seules à être considérées comme pures, étaient
placées par les philosophes aux extrêmes de cinq autres espèces mélangées.
Alberti, quant à lui, ne les tenait que pour de simples modificateurs
utiles à rendre l’ombre et la lumière, la mort de cette dernière
entraînant celle de la couleur. Même s’il prêtait aux peintres la
qualité de « doctus pictor » il n’en redoutait pas moins
une immodération à vouloir tendre vers le blanc le plus pur ou le noir
trop intense. « Comme j’aimerais que l’on vende
aux peintres la couleur blanche beaucoup plus cher que les pierres les
plus précieuses ! Il serait même utile que le noir et
le blanc proviennent de ces grosses perles que Cléopâtre faisait
dissoudre dans du vinaigre : on en serait très avare et les œuvres
n’en deviendraient que plus gracieuses et plus proches du vrai. »
(Livre
II, §47) |
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L’infini
extrait de quatre genres
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De
fait, il ne considérait que quatre vrais genres dont résultaient de
multiples espèces tandis que leur mélange avec du blanc ou du noir en
produisait d’autres en nombre presque infini. Les vrais genres, selon
lui correspondaient aux éléments feu (rouge), air (céleste
ou perse), eau (verte) et terre (cendre).
(Livre
I, §9) |
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Amitié
et vénusté des couleurs |
Lorsque
Alberti prenait l’exemple de grands classiques, c’était pour citer
ceux qui furent inventifs, surent représenter l’histoire,
imprimer du mouvement aux personnages et étaient passé maîtres
dans la composition. Il insistait sur la nécessité de joindre le clair
au sombre qui appartint à un autre genre. Contraste qu’il qualifiait
d’amitié puisque en se joignant, une couleur conférait à l’autre grâce
et vénusté. N’avait-il pas raison de laisser de côté le débat des
philosophes qui recherchaient les origines premières des couleurs ?
« Qu’importe en effet au peintre de savoir comment une couleur est
produite par le mélange de ce qui est poreux et de ce qui est dense, ou
bien du chaud et du sec avec le froid et l’humide ». |
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Réflexion,
mathématiques et géométrie |
Dès
les premières lignes, Alberti annonçait clairement ses objectifs par un
avertissement: « ...nous emprunterons tout d’abord aux
mathématiciens les éléments qui nous semblent concerner notre sujet.
Ceux-ci une fois compris, si notre intelligence y suffit, nous traiterons
de la peinture en partant des principes mêmes de la nature.»
(Rudimenta,
Livre I, §1). Il
insistait sur la géométrie tandis que la perspective, basée sur une
pyramide visuelle et 3 rayons, occupe une large part de son l’ouvrage
divisé en trois livres. Le concept mathématique de l’optique tend vers
ce que nous comprendrions aujourd’hui sous le terme de pixellisation
tandis qu’un l’outil pratique qu’il se gaussait d’avoir mis au
point était un voile qu’il avait appelé avec ses amis « intersecteur ».
(Livre
II, §31) « Ce
ne fut pas une mince question chez les Anciens de savoir si ces rayons
sortent de la surface ou de l’œil. Cette question est assez difficile
et nous la laisserons donc comme nous étant sans utilité. ». (Livre I, §5) La
réception des lumières et leur angle de réflexion comptaient
d’avantage pour lui. En cas
d’interception du rayon lumineux, le report de l’ombre qui en résulte
est proportionnel à la force de sa source, qu’elle provienne de la
lune, d’astres comme le soleil ou l’étoile Lucifer, du feu et même
d’une lampe. « S’il est réfléchi, il
s’imprègne de la couleur trouvée sur la surface par laquelle cela se
produit. »
(Livre I, §11) Nous
aurons, dans un autre article, l’occasion d’apporter une dimension
supplémentaire à la lumière par son interaction entre support, pigments
et liants. |
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Autre
traité majeur : Cennino
Ceccini |
Nous
partageons largement l’opinion que le « De Pictura »
d’Alberti a bel et bien commencé là ou s’est arrêté Cennino
Cennini. Il
Libro dell’Arte, écrit fin XIVe, début XVe, par Cennini, constitue le
dernier grand traité du genre et assure la transition entre conception médiévale
et renaissance. Sa règle de conduite était fort modeste et empreinte
d’enseignement religieux : « Or donc, vous qu'un
esprit délicat porte à l'amour de la vertu, et qui vous destinez
principalement à l'art, commencez par vous couvrir de ce vêtement :
amour, crainte, obéissance et persévérance. Le plus tôt que vous le
pourrez, mettez-vous sous l'égide d'un maître et apprenez. Quittez-le le
plus tard possible ». Il resta 12 ans chez Agnolo de Florence. Composé
de 189 courts chapitres, la couleur, son broyage et la nomenclature font
l’objet des §35 à §62. Il distingue les couleurs naturelles de
celles qui doivent être travaillées et indique leur compatibilité sur
mur, panneau ou parchemin ponctué de remarques très utiles comme p.ex.:
Ne pas l'approcher du blanc, bon pour pavois et lances, supporte la
tempera de jaune et la colle ou Achète-le! Ce traité étant
incontournable, nous y reviendrons à d'autres occasions pratiques. |
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Vulgarisation
de la pratique de l’art |
Un
besoin de classification et de synthèse a inspiré les traités du moine
Théophile ou de Barthelémy l’Anglais (illustration du titre) qui
appartenaient aux ordres religieux ce qui était presque exclusivement le
cas jusqu’au XIIe siècle. La nécessité d’une
vulgarisation de la théorie et de la pratique des arts est venu s’y
ajouter lorsque la transformation de l’état social fit apparaître des
corporations laïques comme celles des métiers. L’itinérance y a également
laissé des traces. Quelques
recueils du XVe, peuvent encore être mentionnés comme la collection du
greffier Jehan Le Bègue dans laquelle étaient insérés toutes sortes
d’ouvrages aux réminiscences anciennes. Une
autre compilation est connue sous le nom de manuscrit de Bologne, Segreti
per Colori. Elle ne dépasse que peu le niveau d’un livre de recettes réunies
par un artisan curieux de formules nouvelles comme celles qui sont
d’origines espagnole ou arabe. Antérieur,
le recueil de Strasbourg a disparu dans un incendie après avec été
transcrit par Eastlake. Un mythe de l’histoire des techniques
septentrionales s’écroule puisque il recèle des données sur
l’emploi courant de la peinture à l’huile avant et durant l’époque
de la prétendue découverte des Van Eyck. Francis
Besson, mai 2010 |
Bibliographie
Alberti,
De Pictura, traduit par J.-L. Schefer, Macula Dedale, Paris 1992.
Cennino
Cennini, Le Livre de l'Art, mis en lumière avec des notes par le chevalier G.
Tambroni et traduit par Victor Mottez.
Xavier
de Langlais, La technique de la peinture à l'huile, Flammarion, 1959
Guy Loumyer, Les traditions technique de la peinture médiévale.
Daniel V. Thompson, The materials and techniques of medieval painting,
Dover Publication, 1956
Ana
Villarquide, La pintura sobre tela I, Historiografia, técnicas y materiales,
Nerea, 2004