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Coups d´oeil sur le XVe siècle

La couleur entre théories chromatiques et évolution concrète

Hommage à un humaniste   par Francis Besson, mai 2010

 

De Pictura (1435)

Leon Battista Alberti.

Avant d’aborder la couleur et les pigments au sens pratique de leurs applications, une approche de certains concepts abstraits en vigueur au XVe siècle nous a semblé aller de soi.

C’est à Alberti que nous concédons l’honneur de cette introduction car il convient de rendre hommage à l’humaniste, auteur du « De Pictura » écrit en 1435, pour sa façon de traiter la peinture comme art libéral, avec près de deux siècles d’avance sur sa reconnaissance effective. Son ouvrage constitue également un trait d’union entre recueils de recettes aux réminiscences anciennes et le discours des encyclopédistes qui obéissaient au besoin intellectuel d’ordonner le monde. Nous y verrons quelques théories divergentes.

« Nous ne faisons par comme Pline une histoire de la peinture mais un examen critique de cet art » (Livre II, §26).

C’est vrai que lorsqu’il rapportait que Polygnote et Timanthe (ci-contre) n’avaient utilisé que quatre couleurs et s’étonnait qu’Aglaophon se soit contenté d’une, il ne cherchait pas, comme l’encyclopédiste romain, à rapporter qui, le premier, inventa l'art de colorier les dessins avec une couleur. Pour Pline, en effet, ce fut Cléophante de Corinthe (9e av..JC), surnommé Monocromatos, qui l’aurait fait avec des tessons de pots d'argile broyés.

 

 

 

Deux couleurs

 

 

 

 

« Mais j’aimerais que les peintres instruits pensent que l’on peut employer tout son métier et son art à répartir seulement le blanc et le noir ». Se référant encore à l’antiquité, il reprenait l’éloge fait à l’athénien Nicias en mettant en exergue l’effet de relief propre à cette manière.

Nous ne résisterons pas à l’envie de démontrer que son opinion était partagée par des peintres, qu’elle fut appliquée avec talent et avons d’ores et déjà prévu un futur article dédié aux grisailles susceptibles de nourrir la querelle du paragone.

 

Ces deux couleurs, les seules à être considérées comme pures, étaient placées par les philosophes aux extrêmes de cinq autres espèces mélangées. Alberti, quant à lui, ne les tenait que pour de simples modificateurs utiles à rendre l’ombre et la lumière, la mort de cette dernière entraînant celle de la couleur. Même s’il prêtait aux peintres la qualité de « doctus pictor » il n’en redoutait pas moins une immodération à vouloir tendre vers le blanc le plus pur ou le noir trop intense.

« Comme j’aimerais que l’on vende aux peintres la couleur blanche beaucoup plus cher que les pierres les plus précieuses ! Il serait même utile que le noir et le blanc proviennent de ces grosses perles que Cléopâtre faisait dissoudre dans du vinaigre : on en serait très avare et les œuvres n’en deviendraient que plus gracieuses et plus proches du vrai. » (Livre II, §47)

 

L’infini extrait de quatre genres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BNF français 22531

De fait, il s’appuyait sur des repères universaux de couleur dont les éléments fournissaient la trame de référence et ne considérait que quatre vrais genres dont résultaient de multiples espèces tandis que leur mélange avec du blanc ou du noir en produisait d’autres en nombre presque infini. Les vrais genres, selon lui correspondaient aux éléments feu (rouge), air (céleste ou perse), eau (verte) et terre (cendre). (Livre I, §9)

N’avait-il pas raison de laisser de côté le débat des philosophes qui recherchaient les origines premières des couleurs ? « Qu’importe en effet au peintre de savoir comment une couleur est produite par le mélange de ce qui est poreux et de ce qui est dense, ou bien du chaud et du sec avec le froid et l’humide ».

Des savants du XIIIe comme Barthélémy l’Anglais dont nous reproduisons des illustrations du XVe du fonds de la BNF, distinguaient les couleurs naturelles des couleurs fabriquées car leur caractère artificiel les aurait empêché de les intégrer à une théorie d’ordre cosmogonique. Leur besoin de classification s’appuyait sur le texte fondateur d’Aristote et témoignait d’une réflexion scientifique sur le phénomène de la couleur que l’air illuminé était réputé prendre au contact de corps naturel. Elle combinait la structure linéaire entre les pôles noirs et blancs avec une gradation chromatique qui allait de clarté humide en rapport avec l’élément air à clarté sèche en rapport avec la terre. Le rouge étant au milieu. Barthélémy  reconnaissait que la qualité de lumière passait par une infinité de degrés avec pour conséquence, une infinité théorique de couleurs.

Une animation peut être consultée sous ce lien :

http://www.profil-couleur.com/lc/001-couleur-moyen-age/les-couleurs-moyen-age.html

« Ce ne fut pas une mince question chez les Anciens de savoir si ces rayons sortent de la surface ou de l’œil. Cette question est assez difficile et nous la laisserons donc comme nous étant sans utilité. ». (Livre I, §5) . Alberti se désintéressa donc clairement du processus physiologique de la vision dont le fondement aurait été l’esprit de la vision (Spiritus visibilis) et refusa l’autorité en la matière de Constantin l’Africain. La réception des lumières et leur angle de réflexion comptaient d’avantage pour lui.  En cas d’interception du rayon lumineux, le report de l’ombre qui en résulte est proportionnel à la force de sa source, qu’elle provienne de la lune, d’astres comme le soleil ou l’étoile Lucifer, du feu et même d’une lampe. « S’il est réfléchi, il s’imprègne de la couleur trouvée sur la surface par laquelle cela se produit. » (Livre I, §11)

 

Nous aurons, dans un autre article, l’occasion d’apporter une dimension supplémentaire à la lumière par son interaction entre support, pigments et liants.

 

Amitié et vénusté des couleurs

Lorsque Alberti prenait l’exemple de grands classiques, c’était pour citer ceux qui furent inventifs, surent représenter l’histoire,  imprimer du mouvement aux personnages et étaient passé maîtres dans la composition. Il insistait sur la nécessité de joindre le clair au sombre qui appartint à un autre genre. Contraste qu’il qualifiait d’amitié puisque en se joignant, une couleur conférait à l’autre grâce et vénusté.

 

Réflexion, mathématiques et géométrie

Il annonça clairement ses objectifs par un avertissement dès les premières lignes: « ...nous emprunterons tout d’abord aux mathématiciens les éléments qui nous semblent concerner notre sujet. Ceux-ci une fois compris, si notre intelligence y suffit, nous traiterons de la peinture en partant des principes mêmes de la nature.» (Rudimenta, Livre I, §1).

Il insistait sur la géométrie tandis que la perspective, basée sur une pyramide visuelle et 3 rayons, occupe une large part de son l’ouvrage divisé en trois livres. Le concept mathématique de l’optique tend vers ce que nous comprendrions aujourd’hui sous le terme de pixellisation tandis qu’un l’outil pratique qu’il se gaussait d’avoir mis au point était un voile qu’il avait appelé avec ses amis « intersecteur ». (Livre II, §31)

 

Autre traité majeur :

Cennino Ceccini

Nous partageons largement l’opinion que le « De Pictura » d’Alberti a bel et bien commencé là ou s’est arrêté Cennino Cennini.

 

Il Libro dell’Arte, écrit fin XIVe, début XVe, par Cennini, constituait le dernier grand traité d’un genre dans lequel les techniques d’ateliers étaient prépondérantes et assurait la transition entre conception médiévale et renaissance.

Certes, le dessin et la distribution des lumières y avaient aussi leur place : « Comment, de préférence même aux maîtres, il te faudra continuellement dessiner d'après nature. Remarque que le guide le plus parfait que l'on puisse avoir, la meilleure direction, la porte triomphale qui conduit au dessin, c'est la nature »..Toutefois, sa règle de conduite était fort modeste et empreinte d’enseignement religieux : « Or donc, vous qu'un esprit délicat porte à l'amour de la vertu, et qui vous destinez principalement à l'art, commencer par vous couvrir de ce vêtement : amour, crainte, obéissance et persévérance. Le plus tôt que vous le pourrez, mettez-vous sous l'égide d'un maître et apprenez. Quittez-le le plus tard possible ». Il resta 12 ans chez Agnolo de Florence.

Composé de 189 courts chapitres, la couleur, son broyage et la nomenclature font l’objet des §35 à §62. Comme Pline, il distinguait les couleurs naturelles de celles qui doivent être travaillées. Mais surtout, il indiquait leur compatibilité sur mur, panneau ou parchemin ponctué de remarques très utiles comme p.ex.: Ne pas l'approcher du blanc, bon pour pavois et lances, supporte la tempera de jaune et la colle ou Achète-le! Ce traité étant incontournable, nous y reviendrons à d'autres occasions pratiques.

 

Vulgarisation de la pratique de l’art

Un besoin de classification et de synthèse a inspiré les traités du moine Théophile ou de Barthelémy l’Anglais (illustration) qui appartenaient aux ordres religieux ce qui était presque exclusivement le cas jusqu’au XIIe siècle. La nécessité d’une vulgarisation de la théorie et de la pratique des arts est venue s’y ajouter lorsque la transformation de l’état social fit apparaître des corporations laïques comme celles des métiers. L’itinérance y a également laissé des traces.

Quelques recueils du XVe, méritent encore d’être mentionnés comme la collection du greffier Jehan Le Bègue dans laquelle étaient insérés toutes sortes d’ouvrages aux réminiscences anciennes.

Une autre compilation est connue sous le nom de manuscrit de Bologne « Segreti per Colori ». Elle ne dépasse cependant que peu le niveau d’un livre de recettes réunies par un artisan curieux de formules nouvelles comme celles qui seraient d’origines espagnole ou arabe.

Antérieur, le recueil de Strasbourg fut détruit mais transcrit par Eastlake. Il détruisait un mythe de l’histoire des techniques septentrionales en offrant des données sur l’emploi courant de la peinture à l’huile avant et durant l’époque de la prétendue découverte des Van Eyck.

 


 



De proprietatibus rerum

Illustrations BNF

 

BNF, cote français 134, fol. 385v, Flandre, 3-4e quart XVe siècle.

Belle illustration du Livre XIX qui constitue un appendice sur les accidents ou la science de la nature. Dans cette distinction philosophique entre état et essence, la couleur relève du domaine accidentel. Les accidents spirituels étant des facultés ou des connaissances acquises.

Le traité est une compilation de Boèce et de Isidore de Séville et a pour prétention de faire connaître la nature et les propriétés des choses répandues dans les oeuvres des saints et  des philosophes. Il a été écrit entre 1230-40 par Barthelémy l’Anglais (Bartholomaeus Anglicus) et traduit Jean Corbechon, de l’ordre de saint Augustin, en 1372.

Il s’agit d’une collection  d’images pour la prédication.

 

Pour en savoir plus :

http://classes.bnf.fr/dossitsm/methappr.htm

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BNF, cote français 22533, fol.350, milieu XVe 

 

Bibliographie

Alberti, De Pictura, traduit par J.-L. Schefer, Macula Dedale, Paris 1992.

Cennino Cennini, Le Livre de l'Art, mis en lumière avec des notes par le chevalier G. Tambroni et traduit par Victor Mottez.

Guy Loumyer, Les traditions techniques de la peinture médiévale. Extraits : http://books.google.ch/books?id=Z42nvCy-piEC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_slider_thumb#v=onepage&q&f=false

Sylvie Fayet, Le regard scientifique sur les couleurs à travers quelques encyclopédistes latins du XIIe siècle. Bibliothèque de L'Ecole Des Chartes, Volume 127, Partie 2

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1992_num_150_1_450643

Pline, Liber XXXV :  http://books.google.ch/books?id=oKJhAAAAIAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_slider_thumb#v=onepage&q&f=false