MUSEE D’HISTOIRE DE BERNE
LE BUTIN DES GUERRES DE BOURGOGNE ET ŒUVRES D’ART DE LA COUR DE BOURGOGNE

MAI-SEPTEMBRE 1969

 LES DRAPEAUX BOURGUIGNONS

 Les Confédérés attribuaient une importance parti­culière aux drapeaux pris comme butin. La prise de possession d'une enseigne militaire signifiait pour les troupes dépossédées la perte d'un signe de ralliement important et saint et équivalait à une défaite; pour le vainqueur, cette prise s'identifiait à la victoi­re et justifiait son combat. Les drapeaux obligeaient directement leurs porteurs; ils étaient le symbole de l'Etat et étaient hautement honorés; ils étaient consacrés, le guerrier prêtait le serment au drapeau et s'engageait à la fidélité en les touchant. Les dra­peaux qu'on n'emportait pas en campagne n'étai­ent pas seulement conservés dans les arsenaux mais aussi dans les églises. Si les enseignes perdues possédaient un caractère religieux qui sanctifiait aussi le combat de leurs porteurs, le vainqueur voyait dans leur perte un jugement divin. Ces con­ceptions qui sont surtout connues et prouvées pour le haut Moyen Age subsistaient sans restric­tions à l'époque des guerres de Bourgogne.

Parmi les drapeaux qui tombèrent aux mains des Confédérés pendant les guerres de Bourgogne, il faut nettement distinguer deux groupes: première­ment les enseignes militaires arrachées des mains de l'ennemi pendant le combat et deuxièmement les drapeaux trouvés dans des caisses de provi­sions dans le camp du duc. Tandis que les banniè­res du premier groupe appartenaient aux conqué­rants, les drapeaux de la seconde catégorie - il s'a­gissait vraisemblablement de trente bannières prin­cipales - furent apportés à Lucerne pour le partage de l'ensemble du butin. Ces drapeaux saisis et con­quis sont en partie conservés en Suisse, jusqu'à nos jours, car ces trophées ont été soigneusement gardés dans des églises et des arsenaux pour y commémorer des gloires passées.

Les drapeaux ont rarement été transformés en or­nements d'église. Beaucoup des enseignes militai­res tombèrent littéralement en bribes, les couleurs se modifièrent et consumèrent le tissu. Depuis le 17e siècle des «Livres des drapeaux» furent établis sous forme d'index illustrés, en couleurs, destinés à transmettre les trophées à la postérité au moins en images (voir N°S du cat. 49-65). Bien plus, des drapeaux furent copiés sur de la toile et reproduits à la fresque sur des parois d'églises ainsi que peints sur des planches que l'on suspendait à la place des originaux.

Il faut distinguer parmi les enseignes militaires bourguignonnes

La banière, grande bannière héraldique rectangu­laire.

L'estandart, étendard triangulaire à images de saints, emblèmes héraldiques et proverbes.

La cornette rectangulaire oblongue à emblèmes et images de saints.

Les baneria diversi coloris, que mira pictura deco­rabat et toutes ces vexilla et baneria aureis litte­ris inpicta posent une série de problèmes concer­nant l'histoire militaire et l'histoire de l'art qui sont brièvement traités dans Deuchler, 370 s.,

Exkurse V et VI. On se contentera ici d'aborder l'aspect relevant de l'histoire de l'art. A cet égard, les trophées conservés en Suisse présentent un intérêt particulier car ils représentent les plus an­ciennes enseignes militaires conservées prove­nant des régions qui s'étendent de la Bourgogne à la France septentrionale. Les drapeaux du temps de Philippe le Hardi et de Philippe le Bon, qu'on pouvait encore admirer dans l'Hôtel de Vil­le de Dijon au 18e siècle, ont disparu depuis longtemps.

Les enseignes militaires bourguignonnes à ima­ges de saints, bien que formant un groupe à pei­ne pris en considération comme témoin du passé, peuvent jeter un jour nouveau sur l'an­cienne peinture néerlandaise. Les sources révè­lent que des peintres de tableaux renommés ont aussi fait des drapeaux. Les enseignes militaires conservées à Soleure, Berne et Saint-Gall ne proviennent, il est vrai, pas directement de l'ate­lier d'un des grands maîtres de la fin du 15e siè­cle mais leur style permet de les rapprocher de l'entourage des Dirk Bouts, Hugo van der Goes ou Jehan Hennequart et Pierre Coustain.

Au temps de Charles le Téméraire, deux peintres de drapeaux semblent avoir été particulièrement souvent à l'œuvre: Pierre Coustain et Jehan Hennequart. La première commande de drapeaux faite par Charles, qui date des années 1467/1468, a la teneur ci-après: A Jehan Hen­nequart, var/et de chambre et paintre de MdS, ­pour la façon du grant estandart de MdS, de taf­fetas blanc, ou a esté paint et figuré, à deux en­droits, /'ymage de MS Saint George à cheval, combattant le dragon et y a été escript de grant lettre d'or le mot et devise de MdS... (L. de La­borde, Les ducs de Bourgogne, Preuves, 1, Paris 1849/1852, 503-504, N° 1968). Il apparaît clai­rement que le drapeau de Saint Georges à So­leure présente une filiation directe avec cette en­seigne (voir la copie dans le Livre des drapeaux soleurois, N° du cat. 62). Pierre Coustain est nommé pour la première fois en 1472. Jehan Hennequart a reçu des honoraires pour la façon ... d'estandars, banières, penons, guidons et cor­nectes que MdS ... a présentement ordonné ­par dessus ceulx que Pierre Coustain, mon com­paignon, a derrenièrement faiz (L. de Laborde, Les ducs de Bourgogne, Preuves, Il, Paris 1849/1852, 226, N° 4039).

Une des dernières commandes de Charles faite en 1474, au camp de Neuss, a été commentée par Commynes avec d'abondantes informations, malheureusement sans les noms des peintres chargés de ce travail:

En ce temps le Duc fit faire de grands Estendarts avec /'Image de sain et George, des Guidons et des Cornettes pour les differens Estats de son Hostel, Archers de corps et de la grande garde, et pour les vingt compagnies d'ordonnance; le premier des Estendarts de ces compagnies étoit en champ d'or, avec /'image de sain et Sebastien, le mot et la devise de Monseigneur le Duc, garni de fusils, de flambes, et de la Croix de sainct André. Le 2. avait /'image de sain et Adrien en champ d'azur; le 3. /'image de sainet Christophe en champ d'argent; le 4. sainet Anthoine en champ rouge; le 5. sainet Nicolas en champ vert; le 6. sain et Jean Baptiste en Champ noir; le 7. sain et Martin, sur drap sanguain; le 8. sainet Hu­bert, sur gris; le 9. sainete Catherine, sur blanc; le 10. sainet Julien, sur violet; le 11. sainete Mar­guerite, sur tanné; le 12. sainete A voye, sur jeau­ne; le 13. sain et André, sur noir et violet; le 14. sainet Estienne, sur vert et noir; le 15. sainet Pierre, sur rouge et vert; 16. sainete Anne, sur bleu et violet; le 17. sain et Jacques, sur bleu et or; le 18. sainete Magdelaine, sur jeaune et bleu; le 19. sainet Jerosme, sur bleu et argent; le 20. sainet Laurent, sur blanc et gris. (Philippe de Commynes, Les Chroniques de Louis de Valois, Roi de France ... depuis l'an 1460 jusqu'à 1483, autrement dites « La Chronique scandaleu­se», publiée par Lenglet de Fresnoy, Londres/Pa­ris 1747, Il, 214).

Les drapeaux conservés en Suisse peuvent indu­bitablement être mis en relation avec cette com­mande. Les notations des couleurs que l'on trou­ve dans le texte de Commynes correspondent à celles des originaux et à celles indiquées dans les livres des drapeaux, en particulier dans l'exem­plaire de Glaris (voir N° du cat. 60) sauf pour quelques variantes insignifiantes. Nous possédons ainsi des points de repère pour la datation t des drapeaux qu'on peut identifier avec la commande de Neuss. Il est frappant de constater que t précisément le drapeau très ancien de saint Jean l à Soleure (voir la copie dans le Livre des drapeaux soleurois N° du cat. 62) n'est pas mentionné 1 par Commynes. A. Châtelet s'est rattaché à l'hypothèse selon laquelle l'auteur du drapeau de t saint Georges à Soleure pourrait être rapproché j de Jehan Hennequart (Résurrection de Pierre Coustain, dans Bulletin de la Société de l'histoire é de l'art français, 1962, 7-13).                        "

Châtelet a tenté d'attribuer quelques-uns des drapeaux à Coustain et d'autres à Hennequart, _ en se fondant sur la critique des styles. K.Arndt estime par contre que, « pour diverses raisons »,  aucun de ces deux artistes ne peut être pris en  considération (Zum Werk des Hugo van der c Goes, dans Münchner Jahrbuch der bildenden                        _

Kunst, XV, 1964, 63-98). Arndt place plutôt le ri drapeau de saint Etienne, de Saint-Gall, dans l'entourage immédiat d'Hugo van der Goes (voir la e copie dans le Livre des drapeaux, N° du cat. 65). r: (Sur la similitude des styles voir Deuchler, 373). a Le drapeau a été restauré de telle manière qu'il s n'est plus possible d'établir si cet artiste l'a exécuté de sa main.              

Un classement stylistique concluant n'a pas encore été fait. L'état dans lequel se trouvent les drapeaux leur a fait perdre leurs caractéristiques.

De plus, ces images expriment un art nettement c orienté vers l'héraldique qui est en retard sur V' l'évolution de la peinture de ce temps. Il est donc  possible que le drapeau de saint Georges (voir la copie dans le Livre des drapeaux de Soleure, No du cat. 62) reproduise un modèle sensiblement plus ancien fondé sur des images conçues dans l'entourage de Van-Eyck. Le drapeau de sainte Anne (voir copie dans le Livre des drapeaux de Soleure N° du cal. 62) pourrait avoir comme au­teur le peintre du saint Georges de Soleure. Nous reconnaissons sur ces deux pièces les mêmes ri­des et bouffisures, la même technique des hachures (voir Deuchler, 373).

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